Paix Liturgique revient dans sa dernière lettre (n°744 du 4 mai) sur le questionnaire sur la forme extraordinaire envoyé aux évêques par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
Quelle est l’origine de cette enquête ?
C’est une plaisanterie classique de dire que le secret « absolu » qui couvre théoriquement les choses de la Curie est celui de Polichinelle. Sauf quand une affaire est traitée par un nombre étroit de personnes, ce qui a manifestement été le cas ici, puisque les simples « officiers » de la section en charge de Summorum Pontificum n’ont pas eu à en connaître.
En outre, un grand nombre de décisions des Congrégations sur des points sensibles sont inspirées par des directives plus ou moins précises de la Secrétairerie d’Etat, comme par exemple l’étrange décret que s’est cru obligé de signer le cardinal Sarah, le 25 mars 2020, qui ordonnait que, dans tous les pays touchés par le Coronavirus, les cérémonies de la Semaine Sainte devaient être célébrées sans la présence du peuple. Mais la lettre du cardinal Ladaria ne semble pas répondre à une demande de la Terza Loggia (l’étage de la Secrétairerie d’Etat dans le palais apostolique) : elle accèderait à un désir de Santa Marta, autrement dit du Pape.
Il faut à ce propos se souvenir des réactions qu’ont provoquées les deux décrets, préparés ceux-là par les officiers de la section de la CDF en charge de Summorum Pontificum, visant à permettre un certain « enrichissement » de la forme traditionnelle (7 nouvelles préface ad libitum, et possibilité, également ad libitum, de fêter d’autres saints, notamment des saints nouvellement canonisés), avaient été approuvés par le Pape le 5 décembre 2019, ont été datés du 22 février 2020 et ont été rendus publics le 19 février 2020. Ces décrets, que nous analyserons plus tard, ont entraîné (nous en avons parlé dans notre Lettre 740, du 8 avril 2020), une levée de boucliers de la part des opposants les plus déterminés à la liturgie traditionnelle. Ceux-ci, à la tête desquels, le professeur Andrea Grillo, qui enseigne à l’Université Pontificale Saint-Anselme, en ont profité pour lancer une pétition d’une extrême virulence, du 1er avril 2020, demandant que cette liturgie cesse d’avoir un statut d’exception et qu’elle soit pleinement soumise aux évêques diocésains, d’une part, et la Congrégation pour le Culte divin, d’autre part. En clair, ils demandaient une fois de plus qu’elle soit asservie aux évêques, puis anéantie. Cette attaque a été fort mal prise par le cardinal Ladaria, qui a demandé une réponse juridique argumentée de Mgr Markus Graulich, Sous-Secrétaire du Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs ( https://www.riposte-catholique.fr/archives/155420 ).
Il va de soi que ce groupe de pression, qui compte des amis très hauts placés, s’est fait entendre auprès du Pape. Celui-ci, c’est bien connu, n’a jamais manifesté d’intérêt particulier pour la messe traditionnelle, ni pour l’approuver, ni pour la haïr. Quand il est arrivé à Rome, elle était pour lui un phénomène très marginal, qui ne prenait quelque consistance que lorsqu’il était lié à la FSSPX, à laquelle, en revanche, il accorde, pour des raisons complexes, un intérêt « politique » évident. Il a eu, à quelques reprises, l’occasion de dire que le rite ancien, auquel Benoît XVI avait selon lui porté trop d’attention, était cultivé par quelques vieux nostalgiques et qu’il fallait le laisser mourir de sa belle mort sans s’en inquiéter. Mais il faut remarquer que ces jugements à l’emporte-pièce ont été prononcés à l’occasion de visites ad limina d’évêques qui se plaignaient du « trouble » que causaient les célébrations à l’ancienne dans leurs diocèses. Et remarquer aussi qu’à chaque fois, le Pontife a répondu en substance : on ne touche pas à Summorum Pontificum (par exemple, aux évêques des Pouilles, en mai 2013).
On sait aussi qu’un groupe important d’évêques italiens est extrêmement hostile au développement de cette liturgie, à la différence des évêques français, anglais, américains, entre autres, qui ont fait « la part du feu », et qui, sans sympathie particulière pour la forme traditionnelle, ont fini par s’accommoder de son existence. Est-il besoin de dire que ces prélats italiens, qui pourchassent la liturgie tridentine, ne perdent pas une occasion de faire entendre leurs récriminations auprès du Pontife et de ses proches.
Si bien que, le Pape François a fini par se rendre compte que cette liturgie marginale existait réellement, puisqu’elle provoquait autant d’irritations exaspérées. Ce qui, somme toute, n’est pas pour lui déplaire. Dans sa manière de gouverner, il tient à ce que ceux qui pensent être le plus proche de lui ne s’imaginent pas installés dans une situation idéologique tranquille. Ainsi, les faveurs accordées à la FSSPX et le statut conservé à la forme extraordinaire sont là pour le leur rappeler.
Mais lui-même ou son secrétariat personnel a pensé qu’il serait bon d’avoir des renseignements exhaustifs sur cette messe traditionnelle qui provoque tant de rage, et sur sa perception réelle, non par quelques évêques, mais par tous les évêques du monde. Et puis, quand on veut faire « reposer » une question difficile, on nomme une commission et on déclenche un processus administratif d’enquête. Ce lieu commun est attribué en Argentine à Perón : « Si tu veux faire traîner éternellement une affaire, nomme une commission d’enquête » or n’oublions pas que le pape François est argentin…. L’enquête donne désormais la possibilité de répondre aux plaignants qu’on s’occupe de la question pour voir de quoi il retourne. Cependant, selon une tradition bien curiale, la lettre du cardinal Ladaria est datée du 7 mars, antérieurement à la pétition de Grillo, pour ne pas donner l’impression que l’une a provoqué l’autre.
On s’en occupe, mais sans une presse excessive. La lettre du cardinal Ladaria demande que les réponses des évêques – dans la mesure où ils prendront la peine de répondre – doivent arriver avant le 31 juillet. C’est-à-dire au moment où la Curie entre dans son profond sommeil d’été. Ensuite, à la rentrée, la petite section de la CDF en charge de Summorum Pontificum, dont l’apriori est favorable au Vetus Ordo, aura, durant de longs mois, à classer, à étudier, à résumer une masse énorme de réponses en toutes langues (à supposer que 2500 sur les 3100 ordinaires du monde répondent aux 9 questions, il y aura plus de 20.000 réponses à traiter, dont certaines pourront être longues).