Un ami lecteur nous adresse cet article
Alors que la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X a fêté le jour de la Toussaint ses 50 ans d’existence, nous voudrions proposer une vision moins stéréotypée de cet institut que celle des célébrations triomphalistes auxquelles se sont adonnées les autorités de cette Fraternité. En particulier, nous voudrions revenir sur l’importante étude de l’abbé Angelo Citati “
L’expérience de la tradition ou la tradition intégrale?“, que Riposte Catholique avait
publiée il y a quelques mois.
Difficulté à se faire entendre
Importante, cette étude l’est par son volume aussi bien que par son contenu mais c’est lorsque s’est répandue la nouvelle du départ de l’abbé Citati à la Fraternité Saint-Pierre que la signification de ce travail a pris un relief encore plus marqué. En effet, l’auteur s’est visiblement senti incapable de rester membre d’une société dont le fil directeur devient de plus en plus, en particulier depuis l’élection de l’abbé Pagliarani, une certitude de détenir à la fois l’intégralité et l’exclusivité de l’orthodoxie. Le départ de ce prêtre souligne ainsi d’une part la pertinence de sa propre analyse mais aussi la difficulté grandissante à faire entendre cette dernière au sein de la Fraternité Saint-Pie X. Tout se passe comme si les clercs d’Écône qui tirent la sonnette d’alarme au sujet de la perte croissante de l’esprit ecclésial dans la FSSPX trouvaient de moins en moins d’écho auprès de leurs confrères et de leurs supérieurs (pour ne rien dire des fidèles). Le fait que l’abbé Citati se soit senti forcé de prendre la porte illustre de façon frappante cette évolution. Il est bien connu en sociologie que, à partir d’un certain stade, un milieu donné devient irréformable parce que ceux qui désapprouvent les dérives de ce milieu sont soit expulsés soit poussés à prendre d’eux-mêmes la porte. Le milieu se perpétue alors en circuit fermé (certains diront en cercle vicieux).
Reste que cette étude de l’abbé Citati fera sans doute date, par la qualité et le détail de son analyse, dans l’histoire des mouvements traditionalistes et restera probablement comme un des moments marquants où la hiérarchie de la FSSPX aura été formellement mise en garde au sujet de ses dérives.
Paroisses et juridiction
Un point que l’abbé Citati n’aborde pas est l’usage du terme “paroisse” dans la Fraternité Saint-Pie X pour désigner les prieurés. Dommage parce que ce glissement n’est pas anodin. Qui dit paroisse dit juridiction: la paroisse est un morceau de diocèse et le curé participe à la juridiction de l’évêque. La FSSPX a toujours affirmé ne pas vouloir établir de hiérarchie parallèle, et c’est capital pour l’exonérer des accusations hâtives de schisme, mais elle met à mal cette déclaration d’intention en généralisant l’usage du terme “paroisse”. Une paroisse n’est pas le lieu où l’on reçoit habituellement les sacrements, une paroisse est une unité territoriale (ou personnelle dans le cas d’une paroisse personnelle) qui possède une juridiction ordinaire sur ses fidèles, par participation à la juridiction de l’évêque ordinaire du lieu. En admettant, et même en généralisant, l’usage du terme “paroisse” pour ses prieurés, la Fraternité St.-Pie X joue donc avec le feu. Bien sûr, certains arguent que les fidèles comprennent qu’il ne s’agit que d’une analogie, à ne pas prendre au pied de la lettre mais, à ce compte-là, pourquoi ne pas qualifier les prieurs FSSPX de curés et les supérieurs de districts d’ordinaires du lieu? Tout le monde comprendrait qu’il s’agit d’une simple analogie…
En réalité, on constate depuis plusieurs plusieurs années et à beaucoup d’endroits que nombre de fidèles qui fréquentent la FSSPX considèrent au pied de la lettre, stricto sensu, leur prieuré comme leur paroisse. Le glissement de vocabulaire est bel et bien en train de provoquer un glissement conceptuel. Voilà où mènent les imprudences sur un terrain aussi important que celui de la hiérarchie parallèle et de la juridiction.
Sous le cardinal Castrillón, il avait été question du côté romain de demander à la FSSPX quelques préalables en réponse aux siens. Une de ces exigences romaines aurait été de s’engager à renoncer expressément à l’usage du mot “paroisse” et de donner instruction aux prêtres FSSPX de bannir ce terme. En fin de compte, Rome ne formula aucun préalable en parallèle à ceux de la FSSPX et l’affaire passa aux oubliettes.
Mgr Fellay et, avant lui, l’abbé Schmidberger, ont déclaré plusieurs fois dans des interviews percevoir le risque que la séparation de fait entre la FSSPX, en s’éternisant, finisse par produire une véritable séparation formelle, un schisme. Souci clairvoyant que certains écartent d’un revers de main, sûrs d’être à l’abri de toute déviation, mais souvenons-nous de la parole de saint Paul: “qui se existimat stare videat ne cadat” (Que celui qui est sûr de se tenir debout prenne garde de ne pas tomber. I Cor. X, 12). Toutefois, ce souci exprimé par Mgr Fellay et de l’abbé Schmidberger en est resté au stade verbal et n’a guère été suivi d’effets concrets. Une circulaire de Menzingen prohibant l’usage du mot “paroisse” pour désigner les prieurés aurait été un manière très tangible d’endiguer la mentalité selon laquelle les fidèles qui fréquentent la FSSPX ressortiraient à la juridiction des prieurs et des supérieurs de districts et n’appartiendraient plus à leurs paroisses territoriales et à leurs diocèses. Faute de mesure de ce type, il n’est guère surprenant que la mentalité de hiérarchie parallèle, qui a pourtant bien été rejetée lors des ordinations épiscopales de 1988, prolifère aujourd’hui et que le mot “paroisse” se soit banalisé (pas seulement dans la sphère francophone) et même institutionnalisé, au point que le nouveau site de La Porte Latine possède maintenant dans sa maquette une section “Bulletin paroissial” pour chaque prieuré.
Départs
Étant donné que l’abbé Citati a quitté cette année la FSSPX, l’annonce de son départ a suscité en septembre sur le Forum Catholique un
débat sur les défections dans l’oeuvre de Mgr Lefebvre.
Certains participants à ce forum ont mis en doute le caractère massif de ces défections et il est regrettable que Menzingen se contente de publier chaque année des statistiques sur les entrées de frères, soeurs, séminaristes, ordinations etc., sans donner le moindre chiffre sur les départs. Si ces derniers sont si minimes, pourquoi ne pas en donner les chiffres? En réalité, toute personne qui suit l’histoire de la Fraternité Saint-Pie X sait combien elle est marquée depuis ses débuts par les défections de séminaristes, de prêtres – et même d’un de ses évêques, puisque ce ne sont pas toujours des sans-grade qui prennent le large. À titre illustratif, remarquons que les premiers recteurs des séminaires de La Reja (abbé Morello) et de Ridgefield (abbé Sanborn) ont quitté la FSSPX (1989 et 1983 resp.). Le recteur suivant du séminaire américain de la Fraternité fut l’abbé Williamson, ensuite Mgr, expulsé en 2012. Même le premier recteur d’Écône (abbé Masson), a quitté la FSSPX dès 1974. Concernant le séminaire bavarois de Zaitzkofen, si son premier recteur est encore bel et bien membre de la FSSPX (abbé Schmidberger), deux de ses successeurs l’ont en revanche quittée: Josef Bisig, recteur 1979-1986, est bien connu pour avoir fondé la Fraternité Saint-Pierre. Quant à Paul Natterer (+), qui dirigea le séminaire de 1986 à 1991, il a carrément défroqué en 1997, et est allé vivre avec une femme. Depuis, il a heureusement fait une bonne mort. RIP.
S’il en va ainsi des recteurs de séminaires de la FSSPX, comment pourrait-on s’attendre à plus de stabilité de la part des séminaristes et des prêtres qu’ils forment? (“Si l’on traite ainsi le bois vert, qu’adviendra-t-il du bois sec?”). Ainsi, le séminaire de La Reja a
ordonné à ce jour 100 prêtres pour la FSSPX (et 5 pour des “communautés amies”): Sur ces 100 prêtres, nos données indiquent qu’au moins 31 ont quitté la Fraternité à ce jour. Le pourcentage de pertes est vite calculé.
Il serait plus facile de se faire une image complète de la situation si la Fraternité Saint-Pie X voulait bien publier en toute transparence les chiffres des défections et expulsions mais les exemples ci-dessus montrent en tout cas que le problème des départs de prêtres n’est pas l’apanage du clergé “moderniste” et que son ampleur est également considérable dans le monde traditionaliste. Ces prêtres qui quittent la FSSPX le font en différentes directions, souvent soit vers les diocèses ou les instituts Ecclesia Dei, soit vers le sédévacantisme ou, plus récemment, vers la “Résistance”, mais beaucoup quittent aussi purement et simplement les ordres. Les motifs de laïcisation de prêtres de la FSSPX sont très divers: certaines de ces demandes émanent des intéressés eux-mêmes, qui désirent prendre femme ou estiment s’être trompés d’état de vie, d’autres sont défroqués par Rome sur la demande de Menzingen pour des délits graves, parmi lesquels beaucoup de cas d’abus sexuels. En tout état de cause, sur ses 50 ans d’existence la FSSPX a produit grosso modo un millier de prêtres, dont plus d’une centaine sont devenus “vagi” (électrons libres) ou ont été réduits à l’état laïc. Ce triste phénomène n’est pas le monopole du clergé “conciliaire”, même si les causes en sont multiples. Le cardinal Castrillón Hoyos avait accepté en tant que préfet du clergé de traiter les demandes de laïcisation de clercs FSSPX, reconnaissant ipso facto la catholicité de ces derniers, et les dossiers de défrocages qu’il avait reçu étaient nombreux, à tel point que Mgr Fellay avait affecté spécifiquement à cette tâche l’abbé Ramón Anglés.
Pour en revenir à l’étude de l’abbé Citati, elle a le mérite de souligner que la FSSPX n’est pas le royaume des Bisounours que certains voudraient imaginer et qu’elle n’est à l’abri ni des chutes ni des déviations. Il est difficile de nier que la Fraternité St.-Pie X soit un instrument de la Providence dans la crise post-Vatican II mais cela n’en fait pas un instrument infaillible et, au moment de faire le point sur ses 50 ans d’existence, il serait bon de se souvenir que l’Église est universelle et ne se réduit à aucune de ses composantes. In omnibus, respice Ecclesiam.
Bonjour,
Étant parmi les “fidèles” de la FSSPX, je tiens à signaler que je n’ai jamais entendu le terme de “paroisse” employé par un prêtre.
Son usage par les fidèles se limite au fait de se plaindre qu’une “école n’est pas une paroisse” où le terme paroisse désigne, improprement il est vrai, un lieu où les fidèles ont des activités en commun autres que la Sainte Messe.
En outre, la dernière version du site La Porte Latine: https://laportelatine.org/publications
parle bien de bulletins des prieurés et pas de bulletins paroissiaux comme indiqué par erreur par l’article.
Déjà en 1986, pour le Dimanche de la Passion, Mgr Marcel Lefebvre, prêchait à l’Oratoire Saint-Joseph , à Carouges, Genève, que “vos prieurés sont vos paroisses”.